Un droit opposable, qu’est-ce que c’est ?

L’« opposabilité » d’un droit est une notion juridique qui signifie que le droit qui a été reconnu au citoyen peut être « opposé » à une autorité chargée de le mettre en œuvre. En langage clair, ceci peut se dire de deux façons :

Le citoyen dispose de voies de recours pour obtenir la mise en œuvre effective de son droit.

Ces voies de recours sont d’abord amiables, devant une instance de médiation chargée d’examiner et de porter la demande auprès de l’autorité responsable, puis elles sont en dernier ressort juridictionnelles, c’est-à-dire devant un tribunal.

La puissance publique a une obligation de résultat.

Le droit au logement n’est plus un simple objectif pour les politiques publiques, il devient une obligation. Celle-ci ne se définit pas par rapport aux moyens employés, qui peuvent être divers (plus ou moins de logements sociaux, de logements privés conventionnés, la maîtrise des marchés, la réquisition, etc.) mais par rapport au résultat à obtenir : tout citoyen en difficulté pour accéder ou se maintenir dans le logement bénéficie d’une aide qui lui permet effectivement d’être logé.

Deux autres droits fondamentaux sont opposables depuis longtemps.

  • Le droit à la scolarité : les responsabilités respectives de l’État et des collectivités territoriales sont clairement établies, et si l’inscription scolaire d’un enfant se heurte à un refus, il existe des voies de recours, y compris devant le tribunal administratif.
  • Le droit à la protection de la santé : on n’imagine pas un refus de soins de la part d’un hôpital…L’obligation d’assistance à personnes en danger est heureusement appliquée, grâce notamment au « caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance maladie » (art.L.111-2-1 du code de la sécurité sociale), dont l’accessibilité au plus démunis est garantie par la couverture maladie universelle.

En quoi le droit au logement opposable est-il légitime et nécessaire ?

Le droit au logement est depuis longtemps reconnu en France comme un droit fondamental, et il est à l’origine de nombreuses actions menées au niveau national comme au niveau local en faveur des personnes défavorisées. Cependant ces actions se heurtent à des obstacles qui ont permis le développement de ce que l’on appelle le « mal-logement ». C’est ce qui a conduit le Haut comité à constater que l’opposabilité du droit au logement, dont la légitimité n’est pas contestable, était devenue nécessaire pour assurer sa mise en œuvre effective.

1) Le droit au logement opposable est légitime.

- Le droit au logement est depuis longtemps proclamé par la France :

Il figure dans plusieurs lois, il découle de la Constitution et fait l’objet d’engagements internationaux.

Le droit au logement ne manque pas de reconnaissance formelle.

Loi : il est proclamé depuis plus de 20 ans.

  • Loi Quilliot 1982 : « Le droit à l’habitat est fondamental »
  • Loi Mermaz 1989 : « Le droit au logement est un droit fondamental ».
  • Loi Besson 1990 : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation ».
  • Loi de lutte contre les exclusions 1998 : « La présente loi tend à garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, […] ».

Constitution : il découle des principes qui figurent dans le préambule.

  • Avis du Conseil Constitutionnel du 19 janvier 1995 : « La possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle »

Traités internationaux : il figure dans des traités ratifiés par la France.

  • Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (article 11) : « Les États parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisant, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. »
  • Charte sociale révisée du Conseil de l’Europe (article 31) : « En vue d’assurer l’exercice du droit au logement, les parties s’engagent à prendre des mesures destinées :
    • 1- à favoriser l’accès au logement d’un niveau suffisant ;
    • 2- à prévenir et à réduire l’état de sans-abri en vue de son élimination progressive ;
    • 3- à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes. »

- Un droit n’existe réellement que s’il peut être invoqué face à une autorité ou un juge.

Dans le droit anglo-saxon, tout droit reconnu par la loi peut faire l’objet de recours devant un tribunal.

- L’opposabilité du droit au logement est la contrepartie indispensable des restrictions imposées par la collectivité à la liberté de construire et d’habiter.

Qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités locales, la puissance publique fixe des règles : l’urbanisme, les normes de construction et d’habitabilité, l’hygiène, les prescriptions architecturales, la protection de l’environnement, la fiscalité… Dans la mesure où elles restreignent la possibilité de produire du logement et affectent les prix de revient, elles ne sont acceptables que si elles sont accompagnées des mesures permettant à tous d’accéder au logement de qualité dont elles définissent l’exigence.
Faute de cela, on court le risque, voulant éviter aux citoyens d’habiter des logements inconfortables, de ne plus permettre aux plus pauvres de trouver un habitat de secours ; voulant assurer la qualité du cadre de vie, de n’autoriser la construction de logements qu’en nombre inférieur à celui des ménages ; voulant soigner l’image de la ville, de générer des surcoûts architecturaux incompatibles avec les revenus des plus modestes ; voulant promouvoir la mixité sociale dans des quartiers en difficulté, de ne plus permettre aux pauvres de s’y loger avant que leur ait été offerte la possibilité de le faire ailleurs.

2) Le droit au logement opposable est nécessaire.

- Parce que le droit au logement est tenu en échec.

Bien que le nombre de mal-logés et de sans-abris soit très mal mesuré, les statistiques INSEE témoignent d’une permanence autour de 3 millions de personnes. Sur le terrain, les élus comme les intervenants sociaux constatent que le nombre de personnes connaissant des difficultés aiguës a augmenté au cours des dernières années : dispositif d’hébergement saturé malgré la croissance de ses capacités, allongement des listes d’attente de logements sociaux, développement du recours à l’hébergement par des tiers, au logement insalubre ou surpeuplé, etc…

- Parce qu’il se heurte à des processus structurels qui ne peuvent pas être combattus dans le cadre existant des outils du logement des défavorisés.

L’exclusion du logement renvoie aujourd’hui à des processus structurels lourds : le développement de la pauvreté urbaine, le fonctionnement des marchés de l’immobilier, la ségrégation spatiale. Or le cadre d’intervention des plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées porte sur des outils marginaux tels que les FSL ou le logement très social, nécessaires mais limités. C’est sur l’ensemble des politiques qui touchent à l’habitat qu’il convient d’agir.

- Parce que les protectionnismes locaux qui s’exercent à l’encontre du logement social ne peuvent être combattus que par un droit contraignant.

Ces protectionnismes ne sont pas uniquement le fait de certains élus qui ignorent les obligations légales relatives aux 20 % de logements sociaux. Ils résultent de la conjonction :

  • des comportements individuels ; ce sont souvent les riverains qui freinent la construction de logements, surtout lorsqu’il s’agit de logements sociaux,
  • d’une organisation de la puissance publique qui laisse le droit au logement en concurrence avec d’autres objectifs de l’action publique.

Pourrait-on construire des routes ou des voies TGV si les riverains disposaient, via leurs élus locaux, d’un pouvoir de blocage ?

- Parce qu’il y a défaillance structurelle de la responsabilité publique dans la mise en œuvre du droit au logement.

Les compétences qui ont un impact sur la possibilité de répondre aux besoins de logement sont éclatées entre l’État et les différentes collectivités territoriales. Seule l’opposabilité permettra l’organisation d’une véritable responsabilité publique, clairement identifiable pour le citoyen.

L’éclatement des compétences en matière de logement.

L’État

  • définit et conduit une politique nationale d’aide au logement,
  • finance, au titre de la solidarité nationale :
  • les aides à la pierre (subventions aux HLM, subventions ANAH pour l’habitat privé)
  • les aides à la personne (allocation logement et APL),
  • finance et assume la responsabilité de l’hébergement,
  • co-pilote les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD),
  • dispose de réservations dans le logement social,
  • a le droit de réquisition.

Le Département

  • co-pilote avec l’État les PDALPD,
  • finance et préside seul les FSL (fonds de solidarité logement) depuis le 1er janvier 2005,
  • finance et assume la responsabilité de l’hébergement pour les jeunes, les femmes enceintes et les mères isolées avec des enfants de moins de 3 ans,
  • peut disposer d’un office d’HLM ou d’un OPAC,
  • peut, depuis le 1er janvier 2005, recevoir délégation des aides à la pierre sauf sur le territoire des intercommunalités qui la revendiquent.

La Commune

  • a la maîtrise de l’urbanisme,
  • délivre les permis de construire,
  • définit la politique de l’habitat sauf si celle-ci est une compétence de l’agglomération,
  • garantit les emprunts des organismes HLM,
  • peut disposer d’un office d’HLM ou d’un OPAC,
  • dispose de droits de réservation sur les logements sociaux et peut demander délégation des droits du préfet.

L’intercommunalité (établissements publics de coopération intercommunale (EPCI))

  • la communauté d’agglomération et la communauté urbaine, c’est à dire les intercommunalités qui concernent les territoires urbains, ont une compétence obligatoire en matière de logement social : elles définissent un « PLH », programme local de l’habitat qui fixe les objectifs, en particulier de logement social et doit tenir compte du PDALPD ; elles assurent également la cohérence des plans locaux d’urbanisme des communes de leur territoire,
  • elles peuvent se doter de leurs propres outils : office HLM ou OPAC notamment,
  • elles peuvent obtenir délégation des aides à la pierre depuis le 1er janvier 2005,
  • elles peuvent obtenir délégation du contingent préfectoral mais uniquement si les communes membres sont d’accord,
  • les communautés de commune, qui concernent les territoires plus ruraux, peuvent prendre une compétence en matière de logement mais elles n’y sont pas obligées.

La Région est la seule collectivité qui n’ait pas de compétence obligatoire sur le logement. Dans les faits, beaucoup de régions interviennent en soutien des collectivités au moyen d’aides financières, ou en mettant à leur disposition un établissement public d’intervention foncière.

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