Parution du rapport "Intermédiation locative : derrière une appellation technocratique, un puissant levier d’accès au logement"

L’intermédiation locative : derrière une appellation technocratique, un outil puissant d’accès au logement

Depuis 50 ans, des dizaines de milliers de personnes ont accédé à un logement aux loyers abordables grâce à l’intermédiation locative. En effet, aujourd’hui en France, l’intermédiation locative (IML) financée par l’Etat loge plus de 90 000 personnes, l’équivalent de la population de la ville de Poitier.

Dans un nouveau rapport, le Haut Comité pour le droit au logement (HCDL) lève le voile sur ce dispositif discret mais devenu central pour loger celles et ceux que ni le marché privé ni le parc social ne parviennent à accueillir.

L’intermédiation locative, qu’est-ce que c’est ?

Derrière cette appellation technocratique, un principe simple : un tiers, le plus souvent une association ou une agence immobilière sociale, s’interpose entre un propriétaire et un ménage en difficulté. Le propriétaire loue son logement « comme d’habitude », mais à ce tiers de confiance, qui prend en charge la gestion, sécurise le paiement du loyer et accompagne le ménage logé.

Deux grandes modalités coexistent :

  • la location / sous-location, où l’opérateur prend le bail à son nom et sous-loue le logement à un ménage précaire, avec un accompagnement social renforcé ;
  • le mandat de gestion, où le ménage est locataire en direct, avec un bail de droit commun, tandis que l’opérateur assure une gestion locative « adaptée » et joue un rôle de médiateur.

Dans les deux cas, l’objectif est le même : rendre possible, et durable, l’accès au logement de ménages qui seraient autrement exclus du parc privé.

L’intermédiation locative : 90 000 personnes logées dans le cadre de la politique du « Logement d’abord »
Selon les estimations rappelées par le HCDL, plus de 4,2 millions de personnes sont aujourd’hui mal logées ou privées de logement personnel, et environ 350 000 vivent sans domicile. En ajoutant la précarité énergétique, les impayés ou le surpeuplement, ce sont 12,3 millions de personnes qui se trouvent fragilisées par leur situation résidentielle. Dans le même temps, le parc social est saturé : en 2024, un peu moins de 400 000 attributions de logements HLM ont été réalisées, alors qu’à la fin de l’année 2,77 millions de ménages étaient en attente d’un logement.

L’intermédiation locative est née dans le milieu associatif dans les années 1980, à la faveur d’initiatives pionnières de gestion locative sociale. Si elle demeure peu connue du grand public, elle est devenue en quelques décennies l’un des piliers de la politique dite du « Logement d’abord ». Cette stratégie repose sur une idée simple : offrir en priorité un accès rapide à un logement ordinaire, stable et adapté, puis organiser autour de ce logement l’accompagnement social nécessaire, plutôt que de subordonner l’entrée dans le logement à un parcours préalable d’insertion.

Dans le cadre de la politique du Logement d’abord, l’État finance aujourd’hui plus de 90 000 places en intermédiation locative. À celles-ci s’ajoutent des milliers de places financées directement par des collectivités (comme Rennes Métropole ou la Ville de Paris) et par des partenaires associatifs tels qu’Habitat et Humanisme. Malgré nos recherches, le Haut Comité n’a pas pu estimer le nombre total de places d’intermédiation locatives.
Un manque d’attractivité fiscal empêchant la massification du dispositif.

Sur le plan fiscal, le rapport dresse un constat sévère. Le conventionnement avec l’Anah, pivot historique de la mobilisation du parc privé à loyers maîtrisés, perd en attractivité. Le dispositif « Loc’Avantages », qui a succédé à « Louer abordable », est jugé trop complexe et insuffisamment incitatif, notamment pour les loyers les plus sociaux. En parallèle, les régimes plus lucratifs (location meublée, saisonnière, bail mobilité) continuent d’exercer un fort effet de concurrence.

Dans ce contexte, les débats parlementaires sur la création d’un statut de bailleur privé ouvrent des perspectives. L’intermédiation locative doit y trouver toute sa place. L’idée d’un véritable « statut du bailleur privé solidaire » doit prendre forme : un cadre stable, lisible, et attractif qui reconnaîtrait et sécuriserait sur la durée l’engagement de propriétaires acceptant de louer à des ménages modestes dans le cadre de l’IML.
Un outil d’atteinte des objectifs de la loi SRU peu utilisé par les commune, en particulier les communes “carencées”.

Le HCDL pointe aussi une sous-utilisation de l’intermédiation locative dans les politiques locales de l’habitat. Les logements en IML, y compris hors convention Anah, sont pourtant comptabilisés au titre de la loi SRU, et les dépenses engagées par les collectivités pour soutenir ces dispositifs peuvent être imputées sur le prélèvement SRU. Autrement dit, une partie des « amendes SRU » pourrait être transformée en logements réellement mobilisés, si les communes saisissaient davantage cet outil.

Un accès au statut de locataire de plein droit encore minoritaire.
Pour le HCDL, le bilan est contrasté : la dynamique est réelle, mais la transformation qualitative n’est pas au rendez-vous.

Au cœur du diagnostic, un chiffre : en 2023, le mandat de gestion, c’est-à-dire la forme d’IML qui offre au ménage un bail de droit commun régi par la loi de 1989, ne représente que 19 % des places financées par l’État, loin de l’objectif de 50 % fixé par l’instruction interministérielle du 10 décembre 2018.

En cause, notamment, le différentiel de sécurisation pour les propriétaires. En location/sous-location, l’opérateur – et derrière lui l’État – prend en charge l’essentiel des risques (vacance, impayés, dégradations, contentieux) et garantit un revenu stable au bailleur. En mandat de gestion, au contraire, le propriétaire reste en première ligne, malgré l’existence de garanties comme Visale IL, tandis que les honoraires de gestion viennent rogner la rentabilité.

Le HCDL plaide pour que le mandat de gestion soit conforté et sécurisé, sans affaiblir pour autant la sous-location, indispensable pour les publics les plus vulnérables.

Quand l’IML entre dans le parc social : le risque d’un « sous-statut » de locataire

Autre alerte du rapport : l’extension progressive de l’intermédiation locative au parc social lui-même. Pensée à l’origine pour mobiliser le parc privé à des fins sociales, l’IML est de plus en plus utilisée par certains bailleurs sociaux, notamment via des conventions d’occupation temporaire qui se substituent au bail HLM.

Pour les ménages concernés, cela signifie souvent des droits amoindris : absence de véritable statut de locataire social, moindre sécurité de maintien dans les lieux, incertitude sur les perspectives de relogement pérenne. Le HCDL y voit le risque de voir se développer, au sein même du parc public, un « sous-statut » durable pour les plus fragiles, financé par des fonds publics qui s’ajoutent à ceux déjà mobilisés pour le logement social classique.

Le Haut Comité appelle à un encadrement strict de ces pratiques : usage exceptionnel, projets précisément définis, garanties renforcées de sortie vers un bail de droit commun et clarification des responsabilités financières entre bailleurs sociaux et opérateurs.

Cinq chantiers pour changer d’échelle :
Au-delà du diagnostic, le rapport formule une série de recommandations articulées autour de cinq grands axes :

  1. Mieux mobiliser le parc privé à des fins sociales, en réformant Loc’Avantages, en poursuivant l’effort de captation engagé par les plans « Logement d’abord » et en inscrivant l’IML au cœur de la future réforme du statut du bailleur privé.
  2. Sécuriser durablement les dispositifs et les opérateurs, via des conventions pluriannuelles, des fonds de sécurisation mutualisés à l’échelle régionale et un pilotage territorial renforcé.
  3. Éviter les ruptures de parcours, en développant le bail glissant, en rendant effectif le Dalo pour les ménages en logement de transition depuis plus de 18 mois, et en veillant à des loyers réellement soutenables.
  4. Mieux connaître les publics et les effets de l’IML, grâce à des données harmonisées et à une évaluation nationale structurée des trajectoires et de la stabilisation résidentielle.
  5. Positionner l’IML comme un véritable levier de politique du logement, notamment dans les communes carencées au titre de la loi SRU et dans les stratégies de lutte contre la vacance.

Le droit au logement est un choix politique
En faisant de l’IML un objet central de son rapport, le Haut Comité pour le droit au logement invite l’État comme les collectivités à franchir un cap : passer d’un dispositif discret, souvent vu comme une « rustine » à la crise du logement, à un levier structurant des politiques publiques, pleinement articulé au parc social et au marché privé.
À l’heure où des milliers de ménages restent sur le seuil du logement, ce choix ne relève plus de la technique : il engage la manière dont la société entend rendre effectif, ou non, le droit au logement.

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