Attention, la mixité sociale est en danger

Il nous souvient de la réflexion de Jean Jaurès : partir du réel pour aller vers l’idéal. A l’écoute de certaines propositions et de projets de loi, la prise en compte du réel ne conduirait–elle pas à aggraver l’accablement d’une société qui n’a cure de cette exigence, alors qu’elle seule peut déchirer les ombres de l’horizon.

L’actualité politique met de nouveau en question la loi Solidarité et Renouvellement Urbains, bien connue par son acronyme SRU. Le nouveau ministre délégué au logement juge nécessaire de l’assouplir pour atténuer la grave crise du logement que nous traversons.

Une crise pour les plus précaires qui en sont les premières victimes. Cette loi du 13 décembre 2000, obtenue de haute lutte est un rempart. Insuffisant certes, mais ce n’est pas en le lézardant que la situation s’améliorera sauf à considérer que les plus vulnérables peuvent être laissés pour compte.

Quel drame, où allons-nous !

Puissions-nous entendre Paul Ricœur rappeler que l’objet de la responsabilité est le fragile, pour être confié à notre garde, à notre soin.

Quel soin offre ce projet de loi intégrant des logements intermédiaires dans le quota des logements sociaux. Le monde associatif, mais pas seulement, relève deux conséquences dommageables et iniques, le mépris des plus pauvres et une reconnaissance des élus qui se sont affranchis de la loi, préférant payer des pénalités plutôt que de construire un habitat social. Quelle iniquité ?

Auraient-ils eu raison, plus vraisemblablement la raison a déserté les cœurs.

Ce projet de loi, une mesure électoraliste qui se présente comme une attention aux classes moyennes. Si elles peinent effectivement à se loger dans les villes et les Métropoles, elles ont trop le respect de l’égalité et de la fraternité pour applaudir à cette orientation, blessante pour les valeurs de notre civilisation. Ne serait-ce pas entrer dans l’avenir à reculons pour reprendre les mots de Valéry.

Qui peut consentir sur un plan éthique que la reconnaissance du droit au logement pour tous se réalise au préjudice de ceux qui attendent longtemps, très longtemps, parfois des années un appartement décent. Quelle faute d’imaginer que ceux qui comptent déjà si peu dans la Société puissent être perçus comme une variable d’ajustement pour résorber ou atténuer la crise, alors qu’elle l’aggraverait en lui ajoutant de honteuses discriminations.

Au regard de tant d’abîmes, l’urgence est de bâtir des passerelles. La loi SRU est de celles-là pour faire exister, depuis près d’un quart de siècle, la mixité sociale, un des piliers de la fraternité.

Le 27 octobre 2023, lors du Conseil Interministériel des Villes, Mme Elisabeth Borne, alors Première Ministre, fit une annonce qui aurait mérité plus d’attention, s’inquiétant de la situation des quartiers dits prioritaires qui se meurent socialement, pour être les lieux d’assignation des plus pauvres.

La mixité sociale trouvait ce jour-là un soutien, mais en ces jours, elle est de nouveau mise à mal alors qu’elle est la condition nécessaire pour retisser des liens singulièrement déchirés.

Peut-être, sera-t-il objecté, quelle place pour les classes moyennes.

Il convient de rappeler que plus de 70 % de nos concitoyens sont éligibles en terme de revenu aux logements sociaux. Cette observation devrait se présenter comme l’aiguillon d’un marché immobilier à des coûts maîtrisés, d’où une vigilance sur les charges foncières, notamment dans les grandes villes.

Le logement représente une telle charge au sein des ménages qu’il participe à ce sentiment d’accablement.

Lutter contre la spéculation et l’enrichissement nés de l’investissement de l’Etat et des Collectivités Locales via les équipements publics, devrait trouver un consensus participant à cette prise en compte du réel, non pour le recevoir comme une fatalité, mais comme un défi à surmonter pour aller vers cet idéal souligné par Jaurès.

Cet idéal a ici pour nom, la fraternité.

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